Recyclage à La Poste : du wok à la faucheuse dans le Haut-Doubs

Pontarlier – On peut désormais rapporter sa poêle à frire à La Poste. Dans le Haut-Doubs, certains espèrent faire pareil avec leur tracteur.

Depuis quelques semaines, un discret autocollant collé sur les vitrines de La Poste annonce une nouvelle ère du recyclage citoyen : “ici, on reprend vos poêles à frire usagées”. Une initiative nationale, propre sur elle, qui sent bon la transition écologique et la réutilisation des métaux. Mais dans le Haut-Doubs, cette nouvelle a réveillé des instincts plus… massifs.

« Ben si on peut ramener une poêle, pourquoi pas mon pulvérisateur ? » rigole (à moitié) Jean-Mi, agriculteur à Vaux-et-Chantegrue, devant son Massey Ferguson de 1983 dont le bras articulé fait désormais un bruit de tractopelle asthmatique.

« J’ai tout essayé : j’ai soudé, resoudé, j’ai même mis une pièce de 5 francs pour boucher un trou, mais là, c’est mort. »

Sur le plateau de sa bétaillère, le vieux matériel attend une hypothétique reconversion postale.

🧷 Quand l’obsolescence ne veut vraiment pas mourir

Dans la région, on ne jette pas. On retape, on rafistole, on rapièce, on repeint à la bombe, et on serre une vis de plus avec un peu de Loctite et beaucoup d’espoir. Mais certaines machines crient grâce. C’est le cas chez Fernand, à Hauterive-la-Fresse, dont le semoir des années 70 est désormais plus rouillé que productif.

« Les paliers sont ovalisés, l’axe principal est tordu et j’ai dû remplacer la manivelle par une clé de 22. À ce stade, même un ferrailleur en pleurerait. »

Mais justement, les ferrailleurs ne rigolent pas. À Dommartin, Régis Marchand, propriétaire du dépôt “Fers & Fumées Doubistes”, voit d’un mauvais œil cette nouvelle tendance.

« Si les gens commencent à rapporter leur merdier à La Poste, nous on fait quoi ? On vit de ça, nous. Un tracteur mort, c’est 800 kilos de fonte utile. Même une moissonneuse rouillée, on peut la vendre au poids. La Poste, elle les fait quoi, ses poêles ? Elle les affiche ? Elle fait des galeries d’art contemporain ? »

📦 “J’ai mis ma poêle dans un carton Colissimo”

On n’a pas trop de consignes pour dire non

Guichetière de La Poste, sous couvert d’anonymat

Chez les postiers aussi, le ton est circonspect. À la Poste de Pontarlier, on a bien reçu les instructions, les affiches, et même un bac spécial “petits équipements de cuisine”. Mais la souplesse du protocole s’arrête là.

« On a déjà reçu une friteuse, un wok, et une poêle de 42 cm de diamètre. Le gars avait emballé ça dans un carton Colissimo avec du foin autour. C’est pas fait pour, mais bon, on l’a pris. »

Dans le Haut-Doubs, le recyclage de sa poêle usagée à La Poste inspire les agriculteurs qui rêvent d’y déposer aussi leur vieux matériel.

Un autre usager aurait tenté de déposer un bidon d’huile de vidange, confondant sans doute l’opération “poêle” avec “tout ce qui traîne dans le garage depuis 1987”. « Là on a refusé », confie une guichetière qui préfère garder l’anonymat, « mais s’il revient avec le sourire et une boîte en carton, on n’a pas trop de consignes pour dire non. »

🏤 Recyclage de La Poste en multi-fonctions ?

Au-delà de l’anecdote, certains élus locaux y voient une opportunité de redynamiser le rôle de la Poste en milieu rural.

« Si ça peut permettre de désengorger les fermes et les hangars, pourquoi pas ? », avance Michel Rouget, maire d’une commune qui préfère rester discrète pour l’instant.

« Nos administrés seraient ravis de ne plus avoir à faire 60 bornes pour trouver un point de reprise pour une faucheuse hors service. On pourrait imaginer des bennes itinérantes, ou des créneaux “reprise agricole” le jeudi matin. »

Les syndicats de La Poste sont déjà sur le qui-vive.

« On est facteur, pas ferrailleur. On veut bien faire un geste pour la planète, mais on va pas commencer à stocker des herses rotatives dans le local pause-café. »

⚙️ Une fracture entre ville et campagne, en forme de godet

Dans le fond, cette affaire révèle une fois de plus le fossé entre la ruralité inventive et les grands dispositifs pensés en open space parisien. Une poêle ? Bien sûr. Un bout de faneuse ? Pourquoi pas. Une barre de coupe de moissonneuse ? Là, il faudra sans doute négocier avec la direction régionale.

Mais dans les fermes du Haut-Doubs, on continue de rêver. « J’ai un vieux épandeur que j’ai repeint trois fois, j’ai même collé une étiquette “Tefal” dessus. Si ça peut passer pour une poêle géante… », glisse un certain Joël, dans un sourire entendu.

Quant à Régis, le ferrailleur, il promet de ne pas se laisser faire. « Je prépare une contre-offensive. À partir de la semaine prochaine, moi aussi je reprends les poêles. Et les bouilloires. Et les grille-pain. Gratos. Juste pour leur faire la nique. »

L’économie circulaire, version Haut-Doubs : un peu rouillée, mais toujours pleine d’idées.

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