Pontarlier – Correspondance de notre envoyé très spécial au stand des churros.
Les plus anciens vous le diront en mâchouillant une gaufre trop cuite : à Pontarlier, la fête foraine, c’est sacré. Une tradition populaire enracinée plus profondément que les pavés de la place d’Arçon, où chaque année manèges, odeurs sucrées et musiques criardes viennent troubler la quiétude d’un centre-ville qui, d’ordinaire, ne dépasse pas les 4 décibels.
 C’est pas donné, hein, mais bon, c’est la tradition
Michel, visiteur traditionnel de 62 ans
Mais cette année, les forains ont mis le paquet. Ou plutôt : des lumières, de la techno et des peluches moches en quantité industrielle.
Carrousel, autos-tamponneuses et vertige tarifaire
Dès l’entrée, on est accueilli par une arche de néons qui ferait passer le sapin de Noël de la mairie pour une lampe de chevet IKEA.
Les enfants hurlent, les ados filment en TikTokant, et les parents essaient de comprendre pourquoi une pomme d’amour coûte désormais le prix d’un steak.
« C’est pas donné, hein, mais bon, c’est la tradition », soupire Michel, 62 ans, qui a perdu ses deux petits-enfants et son portefeuille entre le tir à la carabine et le stand de churros. Il retrouve les premiers sous la grande roue. Le second demeure introuvable.
Autour de lui, les stands s’enchaînent : tir aux fléchettes sur ballons dégonflés, pêches aux canards à la probabilité de réussite proche du loto, machines à pinces aux lois de la physique approximatives. Le tout au son d’une bande-son mi-Maître Gims, mi-Benny Hill.
Gastronomie de plein air et digestion incertaine
La fête foraine, c’est aussi le royaume du gras nomade. Ici, la gastronomie franc-comtoise est mise à l’épreuve de la friteuse. Beignets, churros, saucisses PAS de Morteau XXL, gaufres, crêpes, sandwichs merguez-fromage, tout est disponible, souvent en même temps, parfois dans le même pain.
On est venus pour les enfants, mais j’ai craquĂ© pour un tacos raclette-moutarde au miel d’acacia. Je pense que je vais mourir dans 20 minutes ! Au pays de la morbiflette et du miel de sapin, c’est scandaleux !
Delphine, 37 ans, sourire graisseux, regard vide et sourcil froncé, adossée à un banc en plastique face au stand de pommes de terre spirale.
Les forains, ces héros discrets du vacarme festif
Ils arrivent en convois, s’installent de nuit, et repartent aussi vite qu’ils sont venus. Mais pendant quelques jours, les forains règnent sur la ville comme des seigneurs baroques du divertissement.
« C’est du boulot, hein, ça se voit pas, mais c’est huit heures pour monter le manège, et deux jours pour retrouver ma clé de 13 », nous explique Jojo, exploitant du “Booster Maxx” — une machine tournante qui semble conçue par un ingénieur russe alcoolisé en 1983.
Les forains, ce sont aussi les seuls à pouvoir vous faire croire qu’un poisson en plastique ou une peluche Hello Kitty version albinos valent 450 points. Et vous de repartir fièrement avec ce trophée, qui, une fois à la maison, fera fuir le chat.

« C’est du boulot, hein, ça se voit pas, mais c’est huit heures pour monter le manège, et deux jours pour retrouver ma clé de 13 »
Une fête foraine bon enfant… à condition d’avoir fait un crédit
Le vrai miracle de la fête foraine, c’est son économie. Les prix s’envolent plus vite que les nacelles de la chenille. 3 euros le tir, 4 le tour de manège, 8 pour un kebab-roulette russe. Le tout payable uniquement en liquide ou en jetons que l’on ne peut acheter qu’au stand du vieux monsieur qui ne rend pas la monnaie.
Mais au fond, ce n’est pas qu’une question d’argent. C’est une affaire de rituels. De souvenirs. D’émerveillement baveux. Et ça, ça n’a pas de prix. (Enfin si, mais on préfère pas le savoir.)
Sécurité, musique et douce anarchie
Un agent de sécurité veille. Il n’a pas vu grand-chose, mais il entend très bien. « La musique des manèges me suit jusqu’au lit. Je pense que j’ai épousé “Tocata et fugue en ré mineur version techno” dans mon sommeil. »
La police municipale, elle, assure la tranquillité. Jusqu’à présent, aucun incident majeur n’a été signalé, à part une altercation autour d’un churros suspect et deux ados qui ont bloqué une machine à pinces pendant 45 minutes avec une fourchette.
La fête foraine se tient jusqu’à dimanche soir. Venez nombreux. Prenez des espèces. Et laissez tomber l’idée de ressortir avec autre chose qu’un mal de ventre, un ourson fluo et quelques souvenirs flous. À Pontarlier, c’est ça, le bonheur forain : un peu de bruit, un peu de sucre, et beaucoup de rires.