Le Haut-Doubs interdit de baignade en territoire helvétique ? Le grand rêve de l’indépendance jurassienne passe par la piscine. Cet été, à Porrentruy, on nage entre souverainisme chloré et tri des pédiluves. L’Ouest Républicain décrypte la guerre de l’eau qui vient.
Porrentruy (CH) – Cet été, la frontière ne se passe plus à la douane, mais au bord du bassin. Dès le 4 juillet, la piscine municipale, jusque-là haut lieu d’entente transfrontalière et d’exhibition de sandales Decathlon, s’est transformée en enclave étanche.
Désormais, seuls les Suisses, les détenteurs de permis C, ou les frontaliers munis d’un contrat de travail valide peuvent faire trempette. Les autres ? Qu’ils restent dans leur jus, ou qu’ils aillent faire des bombes dans le Doubs.
Chlorophobie ciblée
La décision est aussi limpide qu’un bassin surdosé en Javel : « Trop d’incivilités », clament les autorités du Syndicat intercommunal de Porrentruy.
Traduction : les gamins gueulent, les ados draguent, et les frontaliers râlent. Bref, une piscine normale. Mais en territoire helvétique, ça fait désordre.
Les chiffres parlent : 95 % des exclusions concernent des Français. À croire que le maillot tricolore est devenu un facteur de risque.
Et on comprend l’angoisse. Déjà qu’ils ont perdu la neutralité pendant l’Euro 2024 en criant « Allez la Nati », les Suisses ne veulent pas en plus perdre le contrôle de leur chloramine locale.
Ici, pas de canon à mousse, pas de toboggan géant, pas de bruit : on se baigne proprement, on nage en silence, et on sort quand le minuteur sonne.
Le grand remplacement du grand bain
Le maire de Porrentruy, Philippe Eggertswyler (aucun lien avec le Scrabble), assume. Il ne s’agit pas d’une mesure raciste, assure-t-il, mais de protéger les infrastructures des contribuables locaux. Autrement dit : si t’as pas payé l’impôt helvétique, tu ne plonges pas dans la fontaine républicaine.
Certains y voient un apartheid de l’eau, d’autres une simple remise à niveau des règles de bienséance aquatique. Le message est clair :
« À Porrentruy, on respecte la ligne d’eau, la ligne politique et la ligne blanche sur le carrelage des vestiaires. »
Réactions côté Doubiste
À Pontarlier, c’est la consternation. « Mes enfants adoraient aller à Porrentruy pour faire du toboggan et manger une glace hors de prix », témoigne Corinne, 38 ans, mère de trois enfants et détentrice d’une Opel Zafira avec pare-soleil Hello Kitty.
« Là-bas au moins, on avait l’impression d’être en vacances sans avoir à supporter la plage. »
Du côté du maire de Mouthe, on songe déjà à créer une contre-mesure : réserver l’accès à la Source du Doubs aux seuls habitants à bonnet tricoté.
« C’est pas qu’on veut faire pareil, mais si les Suisses commencent à filtrer les accès, nous aussi on peut jouer à ce jeu. On a du froid, nous ! »

L’été sera sec (ou chloré)
La mesure est valable jusqu’au 31 août. Après quoi, les portes rouvriront peut-être aux Doubistes repentis, aux touristes hydratés, et à ceux qui savent tenir leur slip de bain à la ceinture.
D’ici là, les frontaliers sans permis devront se rabattre sur les piscines municipales françaises – à condition qu’elles soient ouvertes, que l’eau ne soit pas verte et que les douches soient tièdes.
À Delle, la piscine rouvre le 8 juillet. Mais les autorités redoutent un afflux massif de maillots en quête de vengeance aquatique, à grand renfort de ballons gonflables vengeurs.
Vers une guerre thermale ?
Des analystes (en tout cas celui de la buvette) redoutent une escalade. Et si demain, la Suisse bloquait l’accès aux lacs ? Si la France fermait ses zones commerciales aux plaques VD, JU ou NE ? Si, enfin, on en venait à poser des barbelés autour des jacuzzis ?
L’Europe tremble, mais pour l’instant, le conflit reste local, bouillonnant d’orgueil helvétique et de vexation doubiste.
La morale de cette histoire ? Ne jamais sous-estimer la puissance politique d’un short mouillé.