🧀 Touristes : pourquoi les Doubistes passent juillet à râler et août à leur vendre du Comté

4ème épisode de notre magazine consacré aux vacances estivales.

Haut-Doubs – Dans le Haut-Doubs, le tourisme est un phénomène saisonnier aussi imprévisible qu’un orage au-dessus de Gilley. Il s’installe sans prévenir, secoue les habitudes, vide les étals, remplit les parkings, et repart en laissant derrière lui des traces de pas boueuses et une nappe de pique-nique oubliée. Envers les touristes, chaque année, c’est pourtant le même rituel : en juillet, on les insulte. En août, on leur vend du fromage.

Les touristes : ces envahisseurs mollement tolérés

« Ils savent pas conduire, ils comprennent pas le sens unique, ils laissent les vaches ouvertes et ils demandent si le Comté, ça se met dans les lasagnes. » Dans la bouche d’Yves, 67 ans, de Montlebon, l’agacement est devenu un art oratoire.

Il ne déteste pas les gens, non. Il déteste leur comportement de juillet. C’est très différent.

Le touriste d’été est perçu comme une anomalie climatique. Il parle fort, il prend des photos de tout ce qui bouge (y compris des boîtes aux lettres), et il semble convaincu que la vie rurale est une animation encadrée.

Juillet, le mois de la détestation active

Les premières semaines de l’été, c’est simple : tout le monde râle. Au marché, on peste contre les Parisiens qui confondent Morbier et Mont d’Or. À la boulangerie, on fulmine contre les Hollandais qui veulent payer en billets de 100. Au bistrot, on grince des dents devant les enfants qui courent entre les tables comme si le monde leur appartenait (ce qui, pour eux, est vrai).

« Ils savent pas conduire, ils comprennent pas le sens unique, ils laissent les vaches ouvertes et ils demandent si le Comté, ça se met dans les lasagnes. »

Yves, 67 ans, de Montlebon

Dans les fermes-auberges, on cache les bonnes bouteilles. À la fromagerie, on planque le 24 mois derrière les paquets tranchés. C’est une période de repli, de soupirs, d’observation passive-agressive.

Août : le basculement

Mais voilà. À partir du 2 août, tout change. Subtilement, imperceptiblement. Les Doubistes redeviennent commerçants. On ressort les sourires, on accepte les questions bêtes (« le Doubs, c’est un lac ? »), on vend du miel au kilo avec des histoires de ruches inventées sur place.

Même les plus hostiles s’adoucissent. Robert, qui en juillet refusait de saluer les camping-caristes, propose soudain des conseils de rando « secrète » (comprendre : un sentier boueux entre deux sapins). Pourquoi ? Parce que les touristes reviennent. Avec de l’argent. Et qu’ils repartent bientôt.

des touristes en camping car s'en vont acheter du Comté

L’économie du pardon temporaire

Le Haut-Doubs ne vit pas que du tourisme, mais il s’en nourrit bien, surtout en août. Le Comté sous vide, la saucisse sèche « artisanale », les pots de confiture qui traînent dans le cellier depuis 2018 : tout part. Tout se vend.

Et les Doubistes, malgré leur rudesse de façade, savent s’adapter.

« C’est pas qu’on les aime pas. C’est qu’on les aime pas trop longtemps, c’est tout. »

Cette phrase, entendue au rayon bière locale d’un supermarché de Morteau, résume bien la philosophie ambiante : une hostilité stratégique, suivie d’un capitalisme de proximité.

Une tradition bien huilée

Certains en font même un sport. On râle le matin, on encaisse l’après-midi. On peste contre la voiture mal garée, puis on vend une planche à raclette au propriétaire. C’est le cycle naturel de l’été doubien. Comme la floraison du foin, ou la remontée acide après la saucisse-patates.

Et puis, il faut l’avouer : une partie des Doubistes adore secrètement ce va-et-vient d’étrangers. On se moque de leur short fluo, mais on les attend chaque année. Sans eux, le mois d’août serait bien long. Et bien vide.

Le paradoxe comtois assumé

Ici, on aime râler. On aime vendre. On aime râler en vendant. Le touriste devient alors un miroir comique, un catalyseur d’identité. Il rappelle aux Doubistes qu’ils vivent dans un endroit que d’autres viennent admirer. Et ça, mine de rien, ça flatte.

Alors on continue. On râle. On vend. On râle en vendant. Et quand septembre arrive, on se dit : vivement l’année prochaine. Pour les insulter à nouveau. Et leur refourguer deux kilos de Comté. Avec le sourire.

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