Aude – Depuis dimanche 3 aoĂ»t, un incendie dâune rare intensitĂ© ravage le massif des CorbiĂšres, dans lâAude. Le feu, ça brĂ»le ?
Parti de Ribaute, il sâest propagĂ© Ă une vitesse fulgurante sous lâeffet conjuguĂ© de la tramontane, de la sĂ©cheresse et dâun Ă©tĂ© de plus en plus dĂ©raisonnable. Plus de 16 000 hectares sont dĂ©jĂ partis en fumĂ©e. Une habitante est dĂ©cĂ©dĂ©e, des dizaines de familles ont tout perdu. Les pompiers sont hĂ©roĂŻques, lâangoisse est immense, et pendant ce temps-lĂ , sur les plateaux tĂ©lé⊠on redĂ©couvre que le feu, ça brĂ»le.
 Dans cet article
đ§Ż Des faits graves, des mots faibles
Les chaĂźnes dâinfo en continu se sont toutes ruĂ©es sur place, avec leurs duvets, leurs duplex et leurs Ă©lĂ©ments de langage. Ă tour de rĂŽle, les prĂ©sentateurs ont posĂ© le mĂȘme diagnostic, rĂ©citĂ© avec plus ou moins de conviction :
- « Il fait trÚs chaud, la végétation est sÚche, et donc⊠ça prend feu. »
- « Le feu, câest difficile Ă arrĂȘter, surtout quand ça brĂ»le. »
- « Le feu, ça brûle. »
La phrase « le feu, ça brĂ»le » a Ă©tĂ© prononcĂ©e plus de 90 fois sur BFM, LCI et CNews en 48h. Ă tel point que, par une sorte de mimĂ©tisme absurde, lâinconscient collectif a fini par la chanter â exactement comme dans le refrain de Charlie et Lulu, ces deux prophĂštes thermodynamiques des annĂ©es 90 qui nous rappelaient Ă©galement que lâeau, ça mouille.

đïž Le feu mĂ©diatique en continu
Sur le terrain, 1 900 pompiers, 500 vĂ©hicules, des hĂ©licoptĂšres bombardiers dâeau et les cĂ©lĂšbres Canadairs se battent pour contenir lâincendie. Des Ă©vacuations ont eu lieu Ă Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, Tournissan, Fontjoncouse ou encore Lagrasse, joyaux du patrimoine local aujourdâhui sous la menace. Lâautoroute A9 a Ă©tĂ© coupĂ©e plusieurs heures. Des campings ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s, des lignes Ă©lectriques coupĂ©es.
Mais tout ça, vous ne lâapprendrez que dans les marges des reportages. Car ce qui passionne les rĂ©dactions, câest de filmer une colline fumante, une maison calcinĂ©e, un casque de pompier posĂ© sur une pierre, et un journaliste qui, micro en main, vous explique que « les flammes, câest impressionnant, et le danger, câest dangereux ».
đ Le Haut-Doubs avait compris avant tout le monde
Pendant ce temps-lĂ , dans le Haut-Doubs, on observe le dĂ©sastre avec tristesse⊠mais sans surprise. Chez nous, on sait depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations que le feu, ça brĂ»le. On nâa pas attendu quâun consultant coiffĂ© comme Julien Lepers vienne nous lâannoncer en direct de Narbonne. Quand on fait un feu de branches dans le jardin, on dĂ©broussaille autour, on prend une pelle, on remplit une cuvette dâeau. Parfois, on appelle mĂȘme Roger, qui a toujours un extincteur dans son coffre, « au cas oĂč ça tourne vinaigre ».
Ici, on vit avec des poĂȘles Ă bois, des combles mal isolĂ©s, et des granges remplies de foin sec. Autant dire quâon a une certaine conscience du risque thermique, sans avoir besoin dâun bandeau BFM pour nous expliquer que « le brasier monte Ă plusieurs centaines de degrĂ©s ».
MĂȘme les hĂ©rissons savent que ça brĂ»le : ils changent de talus Ă la moindre odeur suspecte. Ă croire que nos journalistes en cravate devraient passer un Ă©tĂ© Ă Pontarlier pour se reconnecter avec les lois Ă©lĂ©mentaires de la physique.
đ Quand le commentaire “le feu ça brĂ»le” devient comĂ©die
Le plus consternant, ce ne sont pas les clichĂ©s. Câest lâabsence totale dâanalyse. Aucun plateau nâa Ă©voquĂ© les politiques de prĂ©vention insuffisantes, lâurbanisme imbĂ©cile qui autorise des lotissements dans des forĂȘts sĂšches, ou la dĂ©sindustrialisation des moyens dâentretien du paysage.
Pas une allusion au changement climatique, Ă la multiplication des feux ces derniĂšres annĂ©es, ou au fait que lâAude, comme bien dâautres dĂ©partements, est devenu un baril de poudre mal surveillĂ©. Non. Le feu, ça brĂ»le. Et on tourne les images en boucle jusquâĂ la prochaine pluie.
đ§ Le Haut-Doubs nâoublie pas de rĂ©flĂ©chir
Alors bien sĂ»r, on ne va pas se moquer du malheur des sinistrĂ©s. Ce drame est bien rĂ©el. Mais on a le droit â et mĂȘme le devoir â de se moquer de ceux qui prĂ©tendent informer en rĂ©gurgitant du vide. Chez nous, dans le Haut-Doubs, le feu ça brĂ»le, oui, mais ça ne crame pas le cerveau.