« La moitié de nos clients ne veulent pas de verres progressifs, ils veulent des verres désembuants. »
Un opticien pontissalien du centre-ville
Chaque 2Ăšme jeudi d’octobre, la planĂšte cĂ©lĂšbre la JournĂ©e mondiale de la vue.
Un moment solennel pour rappeler lâimportance du dĂ©pistage, de la prĂ©vention et de la santĂ© oculaire.
Mais dans le Haut-Doubs, oĂč lâhorizon se termine souvent en mur de brouillard, la vue parfaite nâest pas quâune affaire mĂ©dicale : câest un superpouvoir local.
 Dans cet article
đ§ Quand la buĂ©e devient art de vivre
Ici, la buĂ©e nâest pas un inconvĂ©nient, câest une tradition.
Les Doubistes connaissent tous cette expérience mystique : sortir de chez soi, lunettes sur le nez, et se retrouver instantanément dans un nuage blanc digne de Lourdes.
Les habitants ont développé des stratégies de survie :
- dégivrer les verres au sÚche-cheveux avant de partir,
- respirer par une narine pour limiter la condensation,
- et, en cas dâurgence, rouler en marche arriĂšre « pour avoir une chance de voir quelque chose ».
Ă Pontarlier, un opticien local confie :
« La moitié de nos clients ne veulent pas de verres progressifs, ils veulent des verres désembuants. »
đ Lunettes, lentilles et lunettes de soleil⊠en octobre
La Fondation Voir & Entendre recommande de protéger ses yeux du soleil.
Ici, on en rĂȘve.
Mais les Doubistes gardent leurs lunettes de soleil dans la voiture, « pour les dix minutes annuelles oĂč le soleil passe au-dessus du Larmont ».
Les lentilles de contact, elles, nâont pas la cote : trop risquĂ©es quand un flocon dĂ©cide dây entrer sans prĂ©venir.
« On a eu un client qui en portait à -18 °C », raconte un pharmacien de Morteau.
« Il a retrouvé la lentille⊠au dégel, dans la cour. »
đ La vision et la conduite : un sujet explosif
Sur la RN57, la vue nâest pas seulement un enjeu de santĂ© publique, câest une question de survie collective.
Entre la brume, les phares mal réglés et les hérissons kamikazes qui traversent sans clignotant, chaque trajet est un test ophtalmologique grandeur nature.
Lâassociation locale Plein Phare Haut-Doubs Vision milite pour un dĂ©pistage gratuit des automobilistes Ă la sortie du supermarchĂ©.
RĂ©sultat : 7 conducteurs sur 10 confondent un panneau âcĂ©dez le passageâ avec un chalet de NoĂ«l.
Mais le vrai problĂšme, selon GĂ©rard Poncet (toujours lui), câest la confusion saisonniĂšre :
« Quand tâas la neige, les codes, le brouillard et les pleins phares du frontalier en BMW, tu comprends que la JournĂ©e mondiale de la vue, câest pas quâun concept. »
đżïž Voir loin, mĂȘme quand on nây voit rien
Les Doubistes ont une qualité rare : ils perçoivent les choses sans forcément les voir.
Câest ce quâon appelle ici lâinstinct du plateau.
On repĂšre le chasse-neige avant de lâentendre, on devine la bise avant quâelle souffle, et on sait que le voisin est sorti parce que ses traces se remplissent dĂ©jĂ de neige.
Les plus anciens racontent quâavant, on âvoyaitâ la Suisse Ă lâĆil nu, depuis les hauteurs du Mont-dâOr.
Aujourdâhui, on ne voit plus grand-chose, mais on sent toujours les impĂŽts dâen face.
𧀠GisÚle, opticienne malgré elle
GisÚle, 73 ans, ancienne buraliste reconvertie en sage locale, résume la philosophie doubiste :
« Dans le Haut-Doubs, on ne voit pas clair, mais on voit venir. »
Elle organise chaque année un atelier artisanal de nettoyage de lunettes avec des torchons de vaisselle et du Pontarlier blanc.
« Câest Ă©colo, ça dĂ©sinfecte, et aprĂšs, tu vois le monde en plus joyeux. »
Le chat Tavernier de GĂ©rard Poncet aurait mĂȘme servi de cobaye pour tester les verres photochromiques : rĂ©sultat, un fĂ©lin qui bronze dĂšs quâon ouvre les volets, selon la lĂ©gende.
đ§ Conclusion : la vision du Haut-Doubs, câest dây voir autrement
La JournĂ©e mondiale de la vue rappelle quâil faut prendre soin de ses yeux.
Dans le Haut-Doubs, on le sait depuis longtemps : les conditions visuelles extrĂȘmes forgent les caractĂšres.
On sây dĂ©place Ă lâinstinct, au bruit des cloches et Ă la lueur du Pont.
Et quand la bise gĂšle jusquâaux cils, on se dit que câest peut-ĂȘtre ça, la vraie clartĂ© : savoir oĂč lâon va, mĂȘme quand on nây voit rien.

