Par Carine Terre-Vioux (@ctv), toujours Ă l’affĂ»t des informations utiles (ou pas) sur les rĂ©seaux sociaux.
Arc-Sous-Cicon – Câest officiel : la fermeture du site nordique de la Perdrix, gĂ©rĂ© depuis quarante ans par lâassociation Haut Saugeais Blanc (HSB), est actĂ©e. Dans le Haut-Doubs, on a beau ĂȘtre habituĂ©s aux fermetures de routes pour cause de congĂšres, celle-ci fait lâeffet dâune avalanche Ă©motionnelle.
Ă la Perdrix, on venait respirer, glisser et sâengueuler avec son voisin en montant les peaux. CâĂ©tait la porte dâentrĂ©e au ski pour les Doubistes du Doubs-du-Bas, ceux qui nâont pas encore le chalet Ă MĂ©tabief ni la carte de saison aux Rousses. On sortait de la RN57, vingt minutes avant Pontarlier, on chaussait, et on oubliait un peu que les pneus hiver coĂ»taient un SMIC.
« Le Saugeais, câest bien gentil, mais quand ça bloque lâaccĂšs au ski, on sort les gros moyens »
Gérard Poncet
 Dans cet article
đČ Le royaume du Saugeais fait encore des siennes
Officiellement, la cause est limpide comme une trace de pas dans la poudreuse : quelques propriĂ©taires terriens refusent le passage des pistes. Officieusement, tout le monde se dit que le Saugeais, fidĂšle Ă son statut de « rĂ©publique autonome » qui tamponne des passeports au milieu des sapins, a trouvĂ© un nouveau terrain pour sâamuser.
Lâan dernier dĂ©jĂ , avec la crĂ©ation dâune commune nouvelle dans le secteur, les rancunes ont fleuri plus vite quâune pelle Ă neige en solde chez Gamm Vert. Depuis, menaces, blocages et ambiance de cabane de trappeurs aprĂšs trois semaines sans vin chaud.
RĂ©sultat : trois quarts du domaine inexploitables, dont les combes stratĂ©giques oĂč il neige encore aprĂšs mars. Sans ça, impossible de vendre des forfaits, de payer trois saisonniers, et dâassurer la sĂ©curitĂ© des randonneurs qui sâaventurent au milieu des conifĂšres.
đą Une fermeture du site nordique qui fait mal au cĆur (et au porte-monnaie)
On nâa peut-ĂȘtre pas les moyens dâun Ătat, mais on a des congĂšres profondes
Sauget anonyme
Les membres de lâassociation sont usĂ©s, le prĂ©sident a dĂ©missionnĂ© en juin, et les soutiens institutionnels nâont pas suffi. Le rideau tombe. Adieu les crĂȘpes fumantes, les pistes de luge improvisĂ©es, les selfies givrĂ©s. Adieu surtout Ă lâĂ©conomie locale qui vivait un peu des skieurs du dimanche.
Car câĂ©tait ça, HSB : un lieu modeste mais accessible. Le spot oĂč lâon amenait ses enfants sans devoir hypothĂ©quer la Peugeot 3008 familiale pour payer la journĂ©e de ski.
đ§ GĂ©gĂ© sort la pelle (et les grands mots)
Dans son gilet sans manches, GĂ©rard Poncet du MHDGA ne pouvait pas rester silencieux. « Le Saugeais, câest bien gentil, mais quand ça bloque lâaccĂšs au ski, on sort les gros moyens », tonne-t-il entre deux gorgĂ©es de Pontarlier.
Sa proposition, en deux volets :
Option A : RĂ©quisition hivernale. Les terrains agricoles passent sous contrĂŽle skieur le temps de lâhiver. Une sorte de service public de la glisse, version ruralo-militaire.
Option B : Colonisation hivernale du Saugeais. Des troupes de raquetteurs, encadrés par des moniteurs ESF à moustaches, prennent position dans les combes et réinstallent la démocratie⊠à coups de fartage obligatoire.

« On ne peut pas laisser trois propriĂ©taires dĂ©cider pour tout un massif. Sâils veulent ĂȘtre autonomes, trĂšs bien, mais quâils soient autonomes aussi pour dĂ©gager la neige sur la RN57 Ă 6h du matin », ajoute-t-il, visiblement inspirĂ© par une nuit entiĂšre de rĂ©flexion au CafĂ© du Commerce.
âïž La rĂ©plique du Saugeais : lâintifada des boules de neige
Ăvidemment, dans la vallĂ©e voisine, les autoritĂ©s saugettes nâont pas tardĂ© Ă rĂ©pondre. « Colonisation hivernale ? MĂȘme pas peur ! », ricane un Ă©lu local, bonnet pĂ©ruvien vissĂ© sur le crĂąne. DĂ©jĂ , des groupes de jeunes se disent prĂȘts Ă organiser une intifada des boules de neige, embuscades dans les sapiniĂšres Ă lâappui.
Le plan serait simple : pour chaque raquetteur pontissalien qui oserait franchir la frontiĂšre, deux boules de neige compactĂ©es façon glaçon, lancĂ©es depuis les toits de fermes. Les plus extrĂȘmes parlent mĂȘme de catapultes bricolĂ©es avec des skis Rossignol et des tendeurs Decathlon.
« On nâa peut-ĂȘtre pas les moyens dâun Ătat, mais on a des congĂšres profondes, et ça suffit pour ralentir une colonne de C15 », prĂ©vient un autre Sauget, sourire carnassier.
Ambiance givrante : la guerre froide locale est bien lancée.
đ Et maintenant ?
Les usagers sont invitĂ©s Ă reporter leurs redevances sur dâautres sites du massif. Mais tout le monde sait que ce nâest pas pareil. HSB, câĂ©tait pratique, Ă deux virages de la nationale, entre deux courses chez IntermarchĂ© et une raclette improvisĂ©e.
La fermeture signe surtout un revers pour lâimage du Haut-Doubs : comment vendre la « destination neige » quand un site historique disparaĂźt sur fond de querelles de clocher ?
Dans les combes dĂ©sertĂ©es, il restera peut-ĂȘtre le souvenir des traces parallĂšles, des enfants en combinaison fluo, et des hĂ©rissons qui traversent la piste au moment le plus inopportun. Mais dĂ©sormais, la glisse Ă la Perdrix, câest fini.
