Cour des Comptes – Il est loin le temps des concours anonymes, des grandes Ă©preuves de culture gĂ©nĂ©rale et des jurys impassibles. Aujourdâhui, pour entrer Ă la Cour des comptes, il semblerait quâil suffise dâun tricot, dâun Ă©poux bien placĂ©, et dâun coup de fil Ă François Bayrou. En tout cas, câest ce que pensent certains dans le Haut-Doubs et ailleurs, oĂč l’on a encore le souvenir d’avoir dĂ» passer six oraux pour entrer au CrĂ©dit Agricole de Pontarlier.
Najat Vallaud-Belkacem, ex-ministre, ex-candidate, ex-tout, vient donc dâĂȘtre nommĂ©e conseillĂšre maĂźtre Ă la Cour des comptes, cet illustre sanctuaire oĂč les hauts fonctionnaires surveillent, dâun Ćil bienveillant et parfois myope, les dĂ©penses de lâĂtat. Son entrĂ©e dans ce temple de la rigueur fait tousser du cĂŽtĂ© de Morteau, mais aussi dans quelques rangs politiques qui nâavaient pas Ă©tĂ© prĂ©venus du plan tricotage familial en marche.
 Dans cet article
đ§” Un casting cousu main
La scĂšne se passe mercredi 16 juillet, au Conseil des ministres. Pendant que GĂ©rald Darmanin se refait un brushing dans les toilettes et que Macron essaie de comprendre TikTok, François Bayrou glisse discrĂštement le nom de Najat sur la table. Officiellement, câest une « procĂ©dure objective », validĂ©e par une commission oĂč lâon jure avoir sĂ©lectionnĂ© les candidats selon des critĂšres “professionnels, rigoureux et neutres”, comme les fromages du Jura.
Mais une question surgit : comment se fait-il que Najat Vallaud-Belkacem, dont le CV est certes honorable, arrive prĂ©cisĂ©ment au bon moment, et obtienne le grade convoitĂ© de conseillĂšre maĂźtre, sans passer par les arcanes habituels ? Et surtout : pourquoi son mari, Boris Vallaud, chef du groupe PS Ă lâAssemblĂ©e, devient-il subitement tout doux avec le gouvernement, au point de remiser une motion de censure dĂ©jĂ prĂȘte Ă dĂ©gainer ?
« Ce nâest pas moins de contrĂŽles budgĂ©taires, câest mieux de contrĂŽles budgĂ©taires. »
Najat Vallaud-Belkacem
đȘĄ Du Canard enchaĂźnĂ© au vin de paille
Le Canard enchaĂźnĂ©, jamais Ă court de rumeurs bien sourcĂ©es, affirme quâun deal aurait Ă©tĂ© passĂ©. En Ă©change du non-dĂ©pĂŽt de cette fameuse motion de censure, Bayrou aurait dit banco pour propulser Najat. Une sorte de troc rĂ©publicain façon brocante de Labergement-Sainte-Marie : « je te file une nomination, tu me laisses mon budget ». Ă ce rythme, la prochaine fois, on Ă©changera un poste de prĂ©fet contre une fondue bien tournĂ©e.
Ăvidemment, tout le monde dĂ©ment. Pierre Moscovici, prĂ©sident de la Cour des comptes, monte en premiĂšre ligne pour dĂ©fendre la procĂ©dure. Il assure que tout sâest dĂ©roulĂ© selon les rĂšgles et que lui-mĂȘme sâest “dĂ©portĂ©” â comprenez : retirĂ© de la dĂ©cision â pour Ă©viter tout soupçon de conflit dâintĂ©rĂȘts.
Mais attention, Moscovici nâest pas un inconnu du Haut-Doubs. Câest un enfant du pays â ou plutĂŽt du Bas-Doubs, pour ceux qui tiennent Ă la gĂ©ographie et Ă la rivalitĂ© territoriale. Ancien dĂ©putĂ© de Valentigney, ce fils du pays sochalien sait ce que câest que les Ă©quilibres subtils et les retours dâascenseur discrets. Dans le Haut comme dans le Bas, on connaĂźt ces petits coups de pouce entre gens bien placĂ©s, surtout quand il sâagit de caser un CV dans une belle institution.
Ă lâOuest RĂ©publicain, on admire le sens de lâĂ©thique : se retirer dâune dĂ©cision quâon connaĂźt dĂ©jĂ , câest comme quitter une raclette quand yâa plus de fromage. Courageux, mais sans consĂ©quence.
đ Najat, un passif bien actif
Faut-il rappeler que Najat Vallaud-Belkacem fut l’architecte de la trĂšs regrettĂ©e rĂ©forme du collĂšge, celle qui avait transformĂ© des enseignants paisibles en lanceurs de stylos ? Ă lâĂ©poque, elle avait lancĂ© une formule restĂ©e dans les annales :
« La rĂ©forme, ce nâest pas moins dâĂ©ducation, câest mieux dâĂ©ducation. »
Aujourdâhui, elle revient avec une nouvelle variation :
« Ce nâest pas moins de contrĂŽles budgĂ©taires, câest mieux de contrĂŽles budgĂ©taires. »
Ă la Cour des comptes, certains hauts magistrats ont dĂ» faire tomber leurs lunettes en entendant ça. Une nomination qui pose question, quand on se souvient que la mĂȘme ministre avait dĂ©fendu une Ă©cole sans notes, sans hiĂ©rarchie, et sans latin, mais avec des ateliers dâautonomie coopĂ©rative â tout ce que dĂ©teste la rigueur comptable.
đ§¶ Les copains, les coquins, et les pelotes
Du cĂŽtĂ© de la majoritĂ©, on explique que tout cela est parfaitement lĂ©gal, normal, rĂ©publicain, et mĂȘme Ă©lĂ©gant. Pourtant, Ă Villers-le-Lac, Raymond, ancien percepteur et buveur de Pontarlier, fulmine :
« Moi jâai passĂ© le concours dâagent des impĂŽts en 1981. 1500 candidats pour 6 postes. Elle, elle arrive avec un tricot, un mari socialiste, et câest bon ! »
Les rĂ©actions fusent aussi Ă Paris, mais surtout sur les plateaux de CNews et Ă la buvette de lâAssemblĂ©e. Jordan Bardella dĂ©nonce « un systĂšme de copinage institutionnalisĂ© ». Manuel Bompard de LFI parle dâ« une RĂ©publique confisquĂ©e ».
GisÚle, notre correspondante retraitée de Morteau, y va de sa lettre ouverte :
« Une fois encore, les honnĂȘtes citoyens sont pris pour des moutons Ă tondre. Moi aussi, jâaimerais bien siĂ©ger Ă la Cour des comptes. Mais je suis divorcĂ©e, pas pistonnĂ©e, et je nâai mĂȘme pas LinkedIn. »

𧷠Et le contribuable dans tout ça ?
Pendant que les Ă©lites tricotent leur destin dans les hautes sphĂšres, les agents des finances publiques, eux, comptent encore les agrafes et les stylos avant chaque budget. Et dans les collĂšges rĂ©novĂ©s Ă coups de rĂ©formes creuses, les Ă©lĂšves continuent Ă chercher du sens Ă la phrase « câest pas moins, câest mieux », qui sonne toujours aussi vide, que ce soit pour lâĂ©cole ou pour les comptes publics.
Au fond, ce nâest peut-ĂȘtre pas une nomination politique. Câest juste une belle histoire de famille, comme on en voit Ă NoĂ«l chez Tatie DaniĂšle : yâa ceux qui font la vaisselle, et ceux qui hĂ©ritent de la maison. Najat, elle, a visiblement eu la maison.