LA VRINE â Elle nâa pas de gare, pas dâĂ©glise, pas de mairie, ni mĂȘme de village, officiellement. Elle a juste un nom Ă©trange, pas dâarrĂȘt de bus, une fromagerie rĂ©putĂ©e, une piste dâULM battue par les vents, et une nationale glacĂ©e qui transforme chaque matin les frontaliers en cascadeurs. Mais cela pourrait bientĂŽt changer : La Vrine exige sa station de monorail.
Tandis que la mise Ă 2Ă2 voies de la RN57 entre Beure et Besançon fait lâobjet dâinterminables dĂ©bats techniques, dâenquĂȘtes publiques Ă rallonge et de promesses suspendues Ă des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux vieux de deux hivers, certains Haut-Doubistes ont dĂ©cidĂ© de ne plus attendre.
Les territoires du Haut-Doubs ne peuvent se satisfaire des errances de politique politicienne de bas étage qui agitent la préfecture.
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Marre de se faire doubler par les camions en descente
Câest ici, Ă la sortie de la ligne droite de Doubs, dans cette courbe perfide oĂč les SUV allemands croient encore pouvoir dĂ©passer en troisiĂšme, que commence le calvaire quotidien des Haut-Doubistes voulant rallier Besançon.
« Tous les matins, je vois ma vie dĂ©filer entre un semi slovaque et un Duster roumain, raconte Sylvain, affineur de carriĂšre. Si au moins j’avais un monorail pour survoler tout ça, je pourrais penser Ă autre chose qu’Ă mes assurances. »
Et l’idĂ©e fait son chemin. D’abord Ă©voquĂ©e par plaisanterie autour d’une raclette au feu de bois, la proposition d’une station suspendue Ă La Vrine sâest vite transformĂ©e en dossier citoyen de quinze pages, agrĂ©mentĂ© de schĂ©mas faits sous Paint et d’une lettre d’intention signĂ©e par une trentaine d’automobilistes frigorifiĂ©s.
Marre du bouchon de Beure
« Franchement, on nâen peut plus, confie Daniel, 62 ans, bĂ»cheron semi-retraitĂ© Ă Gilley. Trois heures pour aller Ă la prĂ©fecture, deux jours pour en revenir, faut pas sâĂ©tonner si on reste coincĂ©s dans le Haut-Doubs.»
Ă lâheure oĂč la RN57 sâapprĂȘte Ă ĂȘtre transformĂ©e en une magnifique autoroute Ă camions de 3,7 km, lâambition dâun transport futuriste prend forme dans les esprits : relier Besançon en ligne droite, sur rails surĂ©levĂ©s, Ă la vitesse de la pensĂ©e â ou presque.
Le projet nâen est quâau stade de la discussion, mais dans les bistrots de Morteau, dans les parkings de Super U ou au sommet du Larmont, lâidĂ©e fait son chemin. Une infrastructure suspendue, Ă©conome en emprise fonciĂšre, qui permettrait dâĂ©viter les vaches, les radars, et les travaux qui nâen finissent jamais.
Le monorail, solution du XXIe siĂšcle ou lubie comtoise ?
« On nâest pas fous, on sait que ça coĂ»te, nuance Patricia, 48 ans, prĂ©sidente du club de modĂ©lisme ferroviaire de La Cluse.
Mais regardez les Simpsons ! Ils ont bien eu un monorail à Springfield, pourquoi pas nous ? »

Lâargument est massue. Le Haut-Doubs ne se laissera pas distancer par une ville fictive dâAmĂ©rique. Ici, on veut la mobilitĂ© des annĂ©es 2080, mais avec les poteaux peints façon sapin jurassien.
Dans les faits, le monorail doubiste serait une sorte de baguette magique sur rails : PontarlierâBesançon en 27 minutes, arrĂȘts Ă Valdahon, Mamirolle et Nancray, accĂšs direct au CHU Minjoz et Ă Micropolis, et possibilitĂ© dâembarquer son vĂ©lo, sa saucisse de Morteau et mĂȘme son autorisation de circuler en tracteur si nĂ©cessaire.
Une gare entre deux virages et trois congĂšres
« Câest le seul endroit logique, explique Claudine, 59 ans, militante pour une mobilitĂ© enneigĂ©e et Ă©quitable. La Vrine, câest le nombril du Haut-Doubs. Tout part de lĂ : le fromage, les accidents, les bouchons, les frustrations. Alors autant en faire une plaque tournante. »
La station serait installée juste aprÚs la fromagerie, avec passerelle chauffée, dépose-minute pour motoneiges, et liaison directe vers Besançon en 24 minutes chrono.
Le monorail, alimentĂ© par l’Ă©nergie du vent, du ComtĂ© rĂąpĂ© et des courants d’air jurassiens, permettrait de transporter aussi bien des passagers que de petites meules bien emballĂ©es.
Le soutien discret du monde de lâaviation lĂ©gĂšre
Du cĂŽtĂ© de la piste ULM, lâenthousiasme est palpable.
« Ce serait gĂ©nial, confie Raymond, 74 ans, ancien pilote et actuel buveur de vin chaud sur la terrasse en tĂŽle. Ăa redonnerait un peu de vie ici. En hiver, on ne voit plus personne Ă part des renards et les gars de la DDE. »

Un projet de gare suspendue intermodale ULM-monorail-tracteur est mĂȘme en cours dâesquisse. Les plans, tracĂ©s Ă main levĂ©e sur une boĂźte de Mont d’Or vide, prĂ©voient un ascenseur vertical depuis le tarmac, un coin fondue, et des toilettes sĂšches panoramiques.
Une opposition discrĂšte mais tenace
Dans les travées de la DREAL, on grimace.
« Le monorail ? Vous plaisantez jâespĂšre. On nâarrive dĂ©jĂ pas Ă refaire un rond-point Ă Beure sans dĂ©clencher une enquĂȘte publique de 900 pages. Alors suspendre un rail dans le ciel, au-dessus des renards, des nappes phrĂ©atiques et des zones Natura 2000… »
Les ingénieurs rigolent, les comptables pleurent, et les décideurs regardent ailleurs. Pourtant, une pétition en ligne recueille déjà 114 signatures.
Un rĂȘve haut perchĂ©, comme le Haut-Doubs
Mais dans le Haut-Doubs, on nâa pas lâhabitude de se laisser abattre par le rĂ©alisme. Ce nâest pas parce quâon vit Ă 900 mĂštres dâaltitude quâon doit penser comme au niveau de la mer. Et si Paris a son mĂ©tro, et Lyon son tramway en pente, nous on aura le monorail de la dignitĂ© rurale.
Un rail unique, une rame blanche, qui fend les brumes matinales du Saugeais pour aller serrer la main au prĂ©fet. VoilĂ la vision. Ce nâest pas une ligne budgĂ©taire, câest une ligne de conduite.
Et si personne ne veut y croire, on le construira nous-mĂȘmes, avec des poteaux de tĂ©lĂ©ski et des barres dâacier du lycĂ©e professionnel.
Besançon regarde ailleurs, mais tremble
Pour lâinstant, ni la RĂ©gion, ni le DĂ©partement, ni la PrĂ©fecture ne semblent avoir entendu parler de lâinitiative. Mais certains Ă©lus commencent Ă froncer les sourcils.
« Si le Haut-Doubs se met Ă avoir des idĂ©es, on nâest pas sortis de lâauberge », glisse un fonctionnaire anonyme de Grand Besançon.
Pendant ce temps, les dĂ©fenseurs du projet annoncent une manifestation symbolique fin juillet, avec installation temporaire dâun pylĂŽne en sapin, tractage de flyers Ă la sortie du Super U, et peut-ĂȘtre un lĂącher de parapentes motorisĂ©s au-dessus du rond-point de La Cluse.
Le mot de la fin, suspendu lui aussi
« Ce quâon veut, câest pas le luxe, conclut Claudine. Câest juste arrĂȘter de risquer sa vie pour aller rĂ©cupĂ©rer une carte grise ou se faire rĂ©gler une amende. On veut prendre de la hauteur. LittĂ©ralement. »
Ă La Vrine, on nâa pas la gare. Mais on a lâidĂ©e. Et dans le Haut-Doubs, câest dĂ©jĂ beaucoup.
2 avis sur “đLa Vrine rĂ©clame sa gare de monorail : le progrĂšs ne passera plus sans sâarrĂȘter”