Aux Fourgs, les néo-frontaliers dorment dans des camions : les anciens trinquent

Les Fourgs – On croyait avoir tout vu. Des vélos dans les ronds-points, des touristes en sandales sur la glace du Doubs, des vaches avec des manteaux. Mais là, c’est le pompon : des néo-frontaliers dorment dans des camions aux Fourgs, sur un parking municipal. Et pas pour camper, non. Pour vivre. Travailler en Suisse et dormir en pente. Bienvenue dans le Haut-Doubs 2025, transformé par un doublement de la population de frontaliers en 20 ans.

On pourrait se dire que cette situation problématique est un sujet 100% local. Mais voilà que la presse étrangère, par le biais du Sunday Timesle très sérieux et conservateur journal dominical britannique, s’en saisit également – sous le titre “Le jackpot des zones frontalières : petit budget d’un côté, gros salaire de l’autre”1.

Un décor bucolique…

Aux Fourgs, commune paisible connue pour ses pistes de ski, ses forêts, et sa capacité à supporter la neige jusqu’en juin, la révolution a un bruit de chauffage d’appoint.

Depuis plus d’un an, une dizaine de travailleurs frontaliers dorment dans des camions ou des camping-cars bricolés.

Ils bossent à Lausanne, Neuchâtel ou Yverdon, mais vivent entre deux lignes blanches sur un parking communal, quand ce n’est pas au milieu des bois.

Grand écart de carte de visite, entre intitulé de poste à faire pâlir de jalousie LinkedIn et habitat précaire. En plein hiver. À 1100 mètres d’altitude. À croire qu’ils confondent salaire suisse et Koh-Lanta Doubs.

fourgonaute n. m. ou f.
(Du fr. « fourgon » et du nom propre « Les Fourgs », avec suffixe -naute, sur le modèle d’astronaute)

Personne qui voyage, habite ou travaille dans un fourgon aménagé, généralement de façon prolongée et semi-nomade, souvent par choix économique ou faute d’alternative résidentielle.
Ex. : Depuis qu’il bosse en Suisse, il est devenu fourgonaute pour éviter les loyers de Pontarlier.

Individu stationné dans la commune des Fourgs (Doubs), dans un fourgon ou un véhicule équivalent, par nécessité résidentielle ou transition professionnelle, souvent en lien avec un emploi frontalier.
Ex. : Les habitants s’inquiètent du nombre croissant de fourgonautes garés au pied des pistes.

Le Dictionnaire Haut-Doubien Illustré

… un maire mélancolique

La mairie, lucide, a vu le cirque s’installer. Roger Belot, a même prévu une solution : une aire pour camions-logements, raccordée à l’électricité, avec eau, poubelles, et même une patrouille de gendarmes.

Tarif : 400 € par mois. L’idée, c’est de faire un vrai camping pour travailleurs à forte mobilité horizontale. Et de libérer le parking du télésiège, pris d’assaut l’hiver par les fourgonautes2 du salariat transfrontalier.

Mais attention, tous les frontaliers ne vivent pas dans un van. Il y a deux catégories :

les historiques, nés ici, élevés au Comté et à la double nationalité fiscale, qui bossent en Suisse depuis les années 80, roulent en Audi Q5 d’occasion et dorment dans des maisons bien isolées.

Et les néo-frontaliers, fraîchement débarqués du Grand Paris ou de Lyon, qui découvrent qu’à 3200 € net chez Nestlé, ils peuvent à peine se payer un studio à Morteau. Eux, ils dorment dans un fourgon, mangent des nouilles chinoises, et garent leur vie entre une benne à verre et un panneau “Stationnement limité”.

Pour tout ce beau monde cependant, il y a une équité : les problèmes de circulation récurrents et les dangers qui en découlent. Parce qu’une BM conduite par un ex-Parisien / néo-Haut-Doubiste en pneus été sur la neige, ça n’a jamais rien donné de bon. Surtout lorsqu’un hérisson traverse inopinément la route.

Dans les communes avoisinantes, la situation est aussi problématique pour les gens du terroir : les loyers et les prix de l’immobilier sont au plus haut. Nous avons été alertés par plusieurs lecteurs à ce sujet et nous publions un témoignage ci-dessous.

Pour preuve, les courtiers en financement et agents immobiliers du Haut-Doubs sont régulièrement dans les tops de leurs réseaux, devant les quartiers huppés de Paris, le Bordelais ou encore la Côte d’Azur. Ca fait cher pour une campagne sans palace, sans mer, ni climat agréable.

On propose qu’aucun fourgon d’un frontalier non natif du Haut-Doubs ne puisse stationner plus de 48h

Gérard Poncet, candidat, non encore déclaré, à la mairie de Pontarlier pour le MHDGA

Un parti historique

Le MHDGA, Mouvement du Haut-Doubs – Gens Authentiques, a sauté sur l’occasion :

“C’est bien beau d’accueillir tout le monde, mais nos jeunes à nous, ils dorment où ?

On propose qu’aucun fourgon d’un frontalier non natif du Haut-Doubs ne puisse stationner plus de 48h, à moins d’arborer le drapeau doubiste et une photo d’un ancêtre enterré à Gilley.”


Gérard Poncet, candidat, pour le moment officieux, à la mairie de Pontarlier pour le MHDGA, réclame aussi que le futur parking des Fourgs soit rebaptisé “Aire du mérite ancestral” et qu’on y installe un distributeur automatique de Pontarlier-anis.

Gérard Poncet, casquette MHDGA vissée sur la tête à l'entrée de Pontarlier : "On propose qu’aucun fourgon d’un frontalier non natif du Haut-Doubs ne puisse stationner plus de 48h, à moins d'arborer le drapeau doubiste et une photo d’un ancêtre enterré à Gilley"

Une lectrice volcanique

Et puis il y a Gisèle. Lectrice régulière, pull tricoté main, 73 ans, fâchée depuis 1993 et encore plus cette semaine. Elle nous a écrit une lettre, doublée par notre formulaire de contact . Elle n’en peut plus.

Lettre de Gisèle, résidente de Morteau et fière Haut-Doubienne

« Monsieur l’Ouest Républicain,

Ça fait des mois que je vous lis et que je me dis : “Ils vont bien finir par en parler.” Et voilà, c’est tombé. Les camions qui poussent aux Fourgs comme des champignons après la pluie, sauf que les champignons, eux, ils payent pas l’électricité.

Moi je ne suis pas contre les gens qui bossent, au contraire. Mais faut quand même pas nous prendre pour des andouilles. Mes petits-neveux, nés ici, élevés au Mont d’Or et à la neige qui rentre sous la porte, ils cherchent un logement depuis six mois. Résultat : trop pauvres pour acheter, trop riches pour les HLM, et pas assez branchés pour vivre dans un fourgon avec panneaux solaires.

Pendant ce temps, des gars arrivent de Paris, posent leur SUV avec matelas à mémoire de forme sur un parking, bossent en Suisse, et payent pas un centime ici. Pas de taxe d’habitation, pas de foncière, rien. Et c’est nous qui ramassons les ordures, qui bouchons les nids-de-poule et qui faisons tourner les écoles.

Alors oui, moi je râle. J’ai tenu vingt-deux ans le tabac-presse de Morteau, j’en ai vu des cartes grises et des timbres fiscaux pour grosses cylindrées allemandes. De plus en plus, au fil du temps. Je sais faire la différence entre un habitant et un passant avec un contrat d’un horloger vaudois.

Je ne veux pas d’un Haut-Doubs qui devient un parking temporaire pour cols blancs nomades. Je veux qu’on puisse encore vivre ici sans devoir dormir dans un utilitaire. Et que mes petits puissent rêver d’une maison avant 40 ans, pas d’une place au camping municipal de l’hiver.

Faut remettre un peu de bon sens dans tout ça. Ou alors changez le panneau “Bienvenue aux Fourgs” par “Zone de transit fiscal à ciel ouvert”. Ce sera plus honnête.

Gisèle, Haut-Doubienne jusqu’au cercueil. »

Vous aussi, vous avez un sujet qui vous hérisse, une injustice dans votre vallon, un van qui campe sous vos fenêtres ou simplement un bon coup de gueule à pousser ?


À l’Ouest Républicain, on écoute les nôtres — même quand ça râle plus fort que les cloches de Chapelle-des-Bois.


  1. En version originale en anglais littéraire : “The borderland bonanza : live cheaply in one country, earn big in another” ↩︎
  2. fourgonaute n. m. ou f.
    (Du fr. « fourgon » et du nom propre « Les Fourgs », avec suffixe -naute, sur le modèle d’astronaute)
    Personne qui voyage, habite ou travaille dans un fourgon aménagé, généralement de façon prolongée et semi-nomade, souvent par choix économique ou faute d’alternative résidentielle.
    Ex. : Depuis qu’il bosse en Suisse, il est devenu fourgonaute pour éviter les loyers de Pontarlier.
    Individu stationné dans la commune des Fourgs (Doubs), dans un fourgon ou un véhicule équivalent, par nécessité résidentielle ou transition professionnelle, souvent en lien avec un emploi frontalier.
    Ex. : Les habitants s’inquiètent du nombre croissant de fourgonautes garés au pied des pistes. ↩︎

3 avis sur “Aux Fourgs, les néo-frontaliers dorment dans des camions : les anciens trinquent

  1. Je trouve cet article indigeste !! Vous avez une manière de catégoriser les gens non natifs du Haut Doubs qui frise la xénophobie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *