Labergement-Sainte-Marie â Il est 18h05, ce vendredi soir, et dans une maison de Labergement-Sainte-Marie, Raymond, 78 ans, regarde fixement son Ă©cran. C’est la derniĂšre fois qu’il fera cette action. Pas parce qu’il est mourant, mais parce que France 3 vient de lui infliger ce que mĂȘme la canicule nâavait jamais osĂ© tenter : la suppression de Questions pour un Champion en semaine.
« Câest pire que la rĂ©forme des retraites », souffle-t-il, les larmes pas loin, un dictionnaire Larousse 1996 Ă la main, en guise de soutien Ă©motionnel.
La chaĂźne publique a en effet dĂ©cidĂ©, dans une logique que seuls des experts en dĂ©programmation peuvent comprendre, de relĂ©guer lâĂ©mission culte du savoir populaire aux seuls week-ends. Une dĂ©cision qualifiĂ©e de « gĂ©nocide culturel des boomers » par Josiane, 74 ans, qui nâa plus goĂ»tĂ© son potage depuis lâannonce.
35 années de réflexes brisés
Pendant plus de trois dĂ©cennies, Questions pour un Champion rythmait les fins dâaprĂšs-midi comme les cloches de lâĂ©glise rythmaient les journĂ©es de nos aĂźnĂ©s. Un petit cafĂ©, un tricot, et hop, Julien Lepers (puis Samuel Ătienne) qui lançait : « Top ! Je suis un fleuve dâAfrique de lâOuest⊠». Les synapses en folie, les cartouches dâencre bleue jaillissant du stylo Bic, les cahiers quadrillĂ©s remplis de points : câĂ©tait le rendez-vous intellectuel quotidien de toute une gĂ©nĂ©ration. La messe de 18h, version laĂŻque et culture gĂ©nĂ©rale.
Aujourdâhui, le couperet est tombĂ©. Ă la place ? Une Ă©mission de cuisine rĂ©gionale, ou pire : un tĂ©lĂ©film allemand rediffusĂ© pour la huitiĂšme fois. Autant dire que lâaffront est total.
Un choc émotionnel dans le Haut-Doubs
Dans les foyers de Pontarlier Ă Mouthe, lâincomprĂ©hension est totale. « On avait dĂ©jĂ perdu Des chiffres et des lettres sur France 3. Maintenant Questions pour un Champion ? Mais quâest-ce quâil nous reste ? Affaire conclue ? », sâindigne Robert, 82 ans, qui sâest dĂ©couvert une lĂ©gĂšre tendance insurrectionnelle depuis l’annonce.
« Câest la dĂ©culturation par le vide. On nous prive de stimulation neuronale, comme ça, dâun coup ! »
Dans plusieurs maisons de retraite du Haut-Doubs, des protestations pacifiques ont Ă©tĂ© organisĂ©es : des quiz collectifs improvisĂ©s, des lectures de lâEncyclopĂŠdia Universalis Ă haute voix, et mĂȘme un happening oĂč une octogĂ©naire sâest attachĂ©e Ă une chaise Louis XV en criant « Top, je suis une institution⊠».
Une fracture intergénérationnelle creusée au couteau
Les plus de 70 ans nâont pas tardĂ© Ă voir dans cette dĂ©cision une nouvelle preuve que la sociĂ©tĂ© les abandonne au bord de la route dĂ©partementale. « Quand jâĂ©tais jeune, on respectait les anciens. Aujourdâhui, on nous enlĂšve nos repĂšres un Ă un. Et bientĂŽt, quoi ? La suppression du journal de Jean-Pierre Pernault en replay ? » sâagace Monique, ancienne institutrice, qui se demande si elle ne devrait pas reprendre le bridge pour compenser lâangoisse cognitive.
« Câest pire que la rĂ©forme des retraites »
Raymond, 78 ans
Les plus jeunes, eux, peinent Ă comprendre lâampleur du drame. « Câest quâun jeu tĂ©lĂ© », a osĂ© dire un adolescent de Doubs (le village), avant dâĂȘtre immĂ©diatement exclu du salon familial par sa grand-mĂšre, qui lui a confisquĂ© sa box Wi-Fi pendant 24h.
Le Haut-Doubs contre-attaque
Face à ce vide télévisuel, certaines communes du secteur envisagent des alternatives locales.
Ă Frasne, le maire rĂ©flĂ©chit Ă la crĂ©ation dâun Questions pour un Haut-Doubien, oĂč les rĂ©ponses porteraient uniquement sur les fromages AOP, les cols enneigĂ©s et lâhistoire de la frontiĂšre suisse.
Ă Gilley, une salle polyvalente a Ă©tĂ© rĂ©quisitionnĂ©e pour organiser des quiz en prĂ©sentiel chaque soir Ă 18h05, « histoire de maintenir la tension artĂ©rielle et le sentiment dâutilitĂ© sociale ».
à Pontarlier, enfin, on propose de créer une télévision municipale dédiée à la rediffusion de Questions pour un Champion, avec un plateau reconstitué au théùtre Bernard Blier. Avec ou sans Samuel Etienne.

Vers une lutte nationale ?
Loin dâĂȘtre un Ă©piphĂ©nomĂšne, cette affaire pourrait bien se transformer en mouvement national. Les seniors sont en train de sâorganiser : pĂ©titions, courriers Ă lâAssemblĂ©e, hashtags #JusticePourQPUC⊠On murmure mĂȘme quâun cortĂšge de dĂ©ambulateurs pourrait monter sur Paris.
A l’heure oĂč nous Ă©crivons ces lignes, certains dĂ©putĂ©s ont dĂ©jĂ fait part publiquement de leur Ă©motion.
Mais en attendant que la France entiĂšre se rĂ©veille, le Haut-Doubs pleure chaque soir Ă 18h05. Sans Questions pour un Champion, câest toute une gĂ©nĂ©ration qui doute :
« Top, je suis un rendez-vous quotidien, je rassure, je stimule, je rassemble⊠»
La rĂ©ponse Ă©tait : Questions pour un Champion. Mais câest trop tard.
2 avis sur “đ”La fin de “Questions pour un champion” en semaine : drame gĂ©nĂ©rationnel chez les boomers du Haut-Doubs”