1er épisode de notre magazine consacré aux vacances estivales.
Haut-Doubs â Ils sont lĂ . Silencieux, constants, immuables. Tandis que dâautres entament leurs vacances, font leurs valises, prennent lâA36 comme on monte au Golgotha et se battent pour un parasol en toile trouĂ©e Ă Palavas, eux restent. Les Doubistes sĂ©dentaires. Ceux qui ont fait le choix â ou le serment muet â de ne jamais quitter le Haut-Doubs, mĂȘme en Ă©tĂ©. Et surtout pas en Ă©tĂ©.
 Dans cet article
Ni mer, ni montagne (sauf celle du Larmont)
«âŻPartir ? Pourquoi faire ?âŻÂ» sâĂ©tonne AndrĂ©, 72 ans, cultivateur retraitĂ© de La RiviĂšre-Drugeon, les bras croisĂ©s sur une CitroĂ«n poussiĂ©reuse qui nâa pas vu lâautoroute depuis Mitterrand (ou Giscard, on ne se souvient plus trop au village).
«âŻOn a tout ici. Le ComtĂ©, les orages, les moustiques, le fromager qui ferme pas en aoĂ»t. Quâest-ce quâon irait foutre Ă Vias-Plage ?âŻÂ»
AndrĂ© nâest jamais allĂ© plus loin que Vesoul. Et encore, câĂ©tait pour une radiographie.
Dans le Haut-Doubs, le concept de vacances divise. Pas politiquement â tout le monde est Ă peu prĂšs dâaccord pour dire que câest «âŻun peu surfaitâŻÂ» â mais spirituellement. Car pour beaucoup, ne pas partir est une philosophie. Voire un art de vivre.
«âŻOn reste par fidĂ©litĂ© au territoire, par rejet du sud, ou simplement parce quâon ne veut pas rater la floraison des patates.âŻÂ», poursuit AndrĂ©.
Le non-départ organisé
Josiane, institutrice Ă la retraite, organise chaque annĂ©e une «âŻsemaine de la non-Ă©vasionâŻÂ». Elle reste chez elle, ferme les volets et cuisine comme si elle Ă©tait en Italie.
«âŻJe fais des lasagnes et jâĂ©coute Pavarotti. Sauf que jâai mon chat, mon jardin, et pas de gens en claquettes qui crient âpĂ©pĂ©â toutes les deux minutes.âŻÂ»
Dans son quartier de Pontarlier, elle a converti plusieurs voisins. Ensemble, ils ont fondĂ© une sorte de club estival des gens qui restent. Le programmeâŻ: apĂ©ros statiques au Pont, observation des touristes perdus, commentaires acides sur les plaques dâimmatriculation.
«âŻEn 2024, ils ont mĂȘme lancĂ© un bingo avec des cases comme âVW Californian garĂ©e sur une bouche dâincendieâ ou âfamille entiĂšre en short fluo devant la fromagerie Marcel Petiteâ.âŻÂ»
Partir, câest pour les faibles
«âŻPartir, câest reconnaĂźtre que lâailleurs est mieux. Nous, on sait que câest faux.âŻÂ»
Cette phrase est signĂ©e Raymond, 74 ans, bĂ»cheron philosophe de Gilley. Il estime que les vacances sont une invention capitaliste pour faire croire Ă la classe moyenne quâelle a encore une libertĂ©. Lui, son vrai luxe, câest de ne rien changer. Ni de short, ni de rythme.
En Ă©tĂ©, Raymond travaille un peu moins, mange un peu plus, et observe les autres transpirer dans leurs campings-cars Ă 70 000 âŹ.
«âŻIls viennent ici pour se reconnecter. Moi je suis jamais dĂ©connectĂ©.âŻÂ»

Les Doubs-biens dans leur coin
Ăvidemment, il y a des nuances. Certains resteraient bien, mais partent Ă contrecĆur pour accompagner la famille. Dâautres ne partent pas faute de moyens, mais le revendiquent avec panache.
«âŻCâest pas quâon peut pas. Câest quâon veut pas. Enfin si, mais non. Enfin bref. On est bien lĂ .âŻÂ»
Dans les villages, les cafĂ©s de juillet ressemblent Ă des conseils des anciens : on sây raconte les bouchons sur lâA8 avec dĂ©goĂ»t, les plages bondĂ©es comme des mauvais souvenirs dâenfance, et les guĂȘpes, toujours les guĂȘpes, qui, elles, ne prennent jamais de RTT.
Résistance estivale
Ne pas partir est devenu, dans le Haut-Doubs, un acte de rĂ©sistance molle. Une maniĂšre de dire non, sans le crier, Ă la frĂ©nĂ©sie du monde. Pendant que dâautres cherchent une place Ă 9h pour la serviette et se tartinent de crĂšme Ă 50 SPF, ici, on sâĂ©tale sur le banc du village, sans crĂšme ni SPF, mais avec une bise qui pique.
Et quand on leur demande sâils nâont pas un peu envie de plage, de farniente, de nouveautĂ©, ils sourient.
«âŻOn a la fraĂźcheur, le silence, et le ComtĂ© Ă 18 mois. Quâils gardent leurs palmiers. Nous, on garde nos pulls.âŻÂ»
Un avis sur “đ§ł Vacances : ces Doubistes qui ne partent jamais⊠par conviction, tradition ou simple usure”