Pontarlier – PrononcĂ© sur un tonneau vide dans une cave de Frasne, retranscrit par un facteur patriote, puis diffusĂ© en douce entre deux annonces mortuaires du journal local : l’Appel du 18 juin.
Francs-Comtois, patriotes des hauts plateaux, résistants de la premiÚre heure, amis des cloches et ennemis des bottes :
La France a perdu une bataille. Une vilaine, une rude. Une bataille qui pique, qui cogne, qui fait grincer les dents et pleurer dans les chaumiĂšres. Une bataille qui a vu nos villes tomber, nos chefs se coucher et nos frontiĂšres se tordre comme des rubans trop tendus.
Mais la France, mes amis, la France nâa pas perdu la guerre. Et certainement pas tant que le Haut-Doubs respire, tant que la saucisse fume et que le comtĂ© sâaffine.
Pendant que certains sâaffalent Ă Vichy dans des fauteuils en velours pour signer des papiers honteux avec des mines de notaires tristes, ici, chez nous, on serre la mĂąchoire. On remonte les manches, on dissimule les fusils de chasse dans les greniers et on taille des semelles dans du vieux pneu pour arpenter les sentiers du maquis.
Car oui, la guerre continue. Elle ne se gagne pas à coups de décrets ni de poignées de main molles sous des lustres dorés. Elle se gagne dans les sapiniÚres, dans les fermes isolées, dans les regards obstinés de ceux qui refusent de plier.
Moi, Charles de Gaulle, gĂ©nĂ©ral de la France libre, pas libre de tout, mais libre quand mĂȘme, jâen appelle Ă vous : montagnards, campagnards, boulangers de Montperreux, cantonniers de Gilley, fromagers de Levier, vieilles de Charquemont et jeunes tĂȘtes de Vercel ! La patrie a besoin de vous.
Moi, Charles de Gaulle, gĂ©nĂ©ral de la France libre, pas libre de tout, mais libre quand mĂȘme, jâen appelle Ă vous
Car pendant que lâennemi avance, triomphe, parade, dĂ©file et parfois mĂȘme salue poliment, une autre force se lĂšve. Silencieuse, obstinĂ©e, enracinĂ©e dans les terres froides et les traditions rugueuses. Cette force, câest vous. Câest nous.
Vous croyez que tout est perdu ? Que la RĂ©publique sâest noyĂ©e dans la loue ? Que la libertĂ© a pris le train pour Lausanne ? Allons donc ! Le sang franc-comtois ne se refroidit pas si vite. Il fume, il bout, il gronde comme les chaudiĂšres du Risoux. Et il est prĂȘt.
PrĂȘt Ă se lever, prĂȘt Ă lutter, prĂȘt Ă rappeler Ă lâenvahisseur que nous ne sommes pas faits de la mĂȘme pĂąte que les capitulards. Non. Nous sommes faits de bois dur, de pierre froide et de lait cru.
Ne vous laissez pas abattre par les nouvelles. Ne croyez pas les bulletins larmoyants et les journaux au rabais. Il y a, quelque part, une France qui nâa pas signĂ©. Une France qui nâa pas baissĂ© la tĂȘte. Une France qui, mĂȘme au fond dâune cave, reste debout.
Cette France, vous la trouverez dans les sentiers forestiers, dans les maisons aux volets fermĂ©s, dans les bistrots oĂč lâon parle bas mais oĂč lâon pense fort. Elle parle avec lâaccent du Haut, elle fume la pipe et elle nâa pas dit son dernier mot.
Vous qui Ă©coutez ce message, au fond de la vallĂ©e de la Loue ou sur les hauteurs de MĂ©tabief, sachez-le : vous nâĂȘtes pas seuls. Ă Londres, Ă Alger, Ă Saint-Claude et mĂȘme Ă Pontarlier, des cĆurs battent pour la mĂȘme cause.
Vive la République ! Vive le Haut-Doubs libre ! Vive la France éternelle, rùpeuse, indomptable, et rebelle !
Nous nâavons pas dâavions. Pas encore. Nous nâavons pas de tanks, de radios, ni de jolis uniformes tout neufs. Mais nous avons mieux : le courage. Le bon sens. Et la mĂ©moire de nos aĂŻeux qui, dĂ©jĂ , sâĂ©taient dressĂ©s contre lâoppression.
Je vous le dis avec la solennitĂ© dâun homme qui nâa plus rien Ă vendre, mais tout Ă transmettre : il faut refuser lâabaissement. Refuser la soumission. Refuser de se faire confisquer son pays comme on vous volerait un vĂ©lo mal cadenassĂ© devant la poste.
Il ne sâagit pas dâhĂ©roĂŻsme. Il sâagit de dignitĂ©. Dâun devoir Ă©lĂ©mentaire envers nos enfants, nos morts, nos vaches, et nos valeurs.
Si vous avez une paire de chaussures, mettez-les. Si vous avez une bicyclette, enfourchez-la. Si vous avez une fourche, cachez-la sous le lit. Si vous avez un fusil, graissez-le. Et si vous nâavez rien, vous avez encore votre cĆur. Et câest dĂ©jĂ beaucoup.

Formez des groupes. Faites circuler les messages. Imprimez des tracts Ă la main sâil le faut. Ăcoutez la BBC, retransmettez, traduisez, exagĂ©rez mĂȘme si nĂ©cessaire. Lâimportant, câest que la flamme ne sâĂ©teigne pas.
Je vous le dis : les AlliĂ©s viendront. Un jour, peut-ĂȘtre bientĂŽt, peut-ĂȘtre plus tard, mais ils viendront. Et ce jour-lĂ , il faudra ĂȘtre lĂ . PrĂȘts. Nombreux. OrganisĂ©s. Et furieusement francs-comtois.
On vous dira que tout est fichu. Que câest pliĂ©. Que lâordre rĂšgne. Mais ce nâest pas un ordre, câest une camisole. Et nous, on taille les manches.
Le Haut-Doubs ne mourra pas à genoux. Il vivra debout, avec les sabots crottés, le regard fier, et les mains dans la pùte à pain.
La route sera longue. Elle grimpera, comme celle du col de la République. Mais au bout, il y a la lumiÚre. Il y a la justice. Il y a la France.
Et cette France, camarades, ce nâest pas celle des salons ni des signatures. Câest celle des bourbiers, des pierres et des chants au fond des bois.
Alors levons-nous. Levons-nous comme un seul homme. Levons-nous comme un Haut-Doubs de granit. Car tant quâun seul dâentre nous rĂ©siste, la France vit.
Vive la République ! Vive le Haut-Doubs libre ! Vive la France éternelle, rùpeuse, indomptable, et rebelle !
Message captĂ© par @dls par une antenne bricolĂ©e sur une grange de Sombacour, diffusĂ© sous le manteau, glissĂ© entre deux pages dâun vieux dictionnaire Larousse et une boĂźte de conserve.